Vos patients âgés récupèrent lentement ? Et si vous posiez LA bonne question : « Mangez-vous assez ? »
👵 Un cas clinique qui interpelle
Mme R., 85 ans, revient après une chute. Malgré vos efforts en renforcement et équilibre, elle fatigue vite, se désintéresse des repas, a perdu 4 kg, prend plusieurs traitements et vit seule. Son IMC est à 21.
📍 Elle ne se plaint pas de son alimentation. Et pourtant…
👉 Dépister la dénutrition aurait pu changer la trajectoire de soin.
Ce scénario est fréquent, mais rarement traité. C’est là que vous, kiné, entrez en jeu (enfin on espère qu’avec ce blog vous arriverez à réorienter dès les premiers signes !)
✨ Points clés
- La malnutrition concerne 30 à 50 % des patients âgés hospitalisés.
- Elle est souvent multifactorielle : troubles cognitifs, isolement, polymédication, anorexie liée à l’âge…
- Elle aggrave la sarcopénie, ralentit la rééducation et augmente les hospitalisations.
- Le dépistage est validé (MNA-SF + GLIM) et accessible aux kinésithérapeutes.
- Des stratégies nutritionnelles ciblées sont efficaces et recommandées.
🏋️ Introduction
La malnutrition chez les personnes âgées est une condition fréquente, sous-reconnue et aux conséquences cliniques majeures. Elle affecte entre 22 % et 50 % des patients âgés selon le contexte de soins, et se traduit par une perte de poids, une diminution de la masse musculaire, un déclin fonctionnel, une vulnérabilité accrue aux complications médicales, et une prolongation des hospitalisations.
Chez le sujet âgé, la malnutrition résulte d’un enchevêtrement de facteurs : modifications physiologiques (anorexie liée à l’âge, diminution du goût), maladies chroniques inflammatoires, polymédication, troubles cognitifs, isolement social, et altération de l’accès ou de la capacité à se nourrir.
Son évolution peut être aiguë (après une pathologie ou un stress) ou chronique (installation progressive liée à une réduction des apports ou à une augmentation modérée des besoins). Dans les deux cas, elle altère directement l’efficacité de la rééducation et augmente le risque de perte d’autonomie.
➡️ Pour le kinésithérapeute, intégrer la malnutrition dans l’évaluation fonctionnelle n’est plus optionnel : c’est une condition préalable à un traitement pertinent et durable.
🧪 Méthode
L’article publié dans le New England Journal of Medicine (Cruz-Jentoft & Volkert, 2025) s’appuie sur :
- Les critères GLIM validés en 2019,
- Les recommandations de la ESPEN (Société européenne de nutrition clinique),
- Des données épidémiologiques multi-pays,
- Le modèle DoMAP, conçu comme un cadre pratique d’analyse multifactorielle.
📊 Résultats
📌 Étiologie : les causes de la dénutrition
La baisse d’apport alimentaire est le facteur principal, souvent secondaire à plusieurs influences :
- Physiologiques : appétit diminué (anorexie du vieillissement), altération olfactive/gustative, satiété précoce.
- Fonctionnelles : douleurs buccales, prothèses inadaptées, dysphagie (souvent liée à AVC, démence, Parkinson).
- Mentales : dépression (cause majeure), délire, démence, troubles du comportement alimentaire.
- Pathologies : cancer, insuffisance cardiaque, maladies inflammatoires, maladies aiguës (ex. chirurgie, infections).
- Médicaments : baisse d’appétit, nausées, constipation, altérations du goût → effets secondaires fréquents.
- Contexte social : isolement, pauvreté, deuil, mauvaise qualité des soins nutritionnels en institution.
- Facteurs alimentaires directs : régimes restrictifs, consommation d’alcool, peur de grossir.
🧭 Le modèle DoMAP
Le modèle en pyramide DoMAP (Determinants of Malnutrition in Aged People) structure les causes sur 3 niveaux :
- Le niveau 1 (triangle central vert foncé) représente les mécanismes étiologiques directs : faible apport alimentaire, mauvaise biodisponibilité des nutriments, besoins accrus.
- Le niveau 2 (vert clair) regroupe les facteurs directement impliqués dans ces mécanismes : par exemple, la dysphagie ou les nausées peuvent réduire l’apport alimentaire.
- Le niveau 3 (jaune) rassemble les causes indirectes : maladies, isolement, troubles cognitifs, douleurs, qui influencent les facteurs du niveau 2.
- Enfin, les facteurs externes en rouge illustrent les changements liés à l’âge et aux déterminants systémiques (éducation, polypharmacie, qualité des soins), contribuant de manière diffuse ou cumulative.
🧩 Tous ces éléments interagissent, et plusieurs voies simultanées peuvent conduire à une dénutrition. Ce modèle vous aide à structurer votre raisonnement et à mieux cibler vos interventions ou redirections.
🧪 Diagnostic
Étape 1 : dépistage avec le MNA-SF
6 questions (perte d’appétit, poids, mobilité, stress aigu, cognition, IMC).
- Score <12 : risque de dénutrition
- Score <8 : dénutrition probable
Étape 2 : confirmation avec les critères GLIM
Il faut :
- 1 critère phénotypique (perte de poids, IMC bas, masse musculaire faible),
- ET 1 critère étiologique (apport insuffisant ou inflammation).
Seuils spécifiques chez les >70 ans : IMC <22 = dénutrition ; <20 = sévère.
Voici le cadre du diagnostic défini dans la HAS:
Critères phénotypiques | Critères étiologiques | Critères de sévérité |
---|---|---|
Perte de poids : | Réduction des apports alimentaires : | Perte de poids sévère : |
– ≥ 5 % en 1 mois | – ≥ 50 % pendant > 1 semaine | – ≥ 10 % en 1 mois |
– ou ≥ 10 % en 6 mois | – ou toute réduction pendant > 2 semaines par rapport : | – ou ≥ 15 % en 6 mois |
– ou ≥ 10 % par rapport au poids habituel | • à l’alimentation habituelle | – ou ≥ 15 % par rapport au poids de référence |
• ou aux besoins protéino-énergétiques | ||
IMC < 22 kg/m² | Absorption réduite : maldigestion ou malabsorption | IMC < 20 kg/m² |
Sarcopénie confirmée | Situation d’agression (avec ou sans syndrome inflammatoire) : | Albuminémie ≤ 30 g/L |
– pathologie aiguë | ||
– ou pathologie chronique | ||
– ou pathologie maligne évolutive |
🔍 Diagnostics différentiels
- Sarcopénie : perte de masse + perte de force → test de force de préhension recommandé.
- Cachexie : perte pondérale sévère avec inflammation → peu réversible par l’alimentation.
- Perte pondérale volontaire : attention aux régimes inadaptés ou trop restrictifs.
🧭 Malnutrition aiguë vs chronique
- Aiguë : perte rapide en lien avec événement aigu (chirurgie, stress, hospitalisation).
- Chronique : réduction prolongée de l’apport ou besoin accru modéré → perte lente souvent masquée.
➡️ La forme chronique est la plus fréquente en cabinet et la plus sous-détectée 🚨
🧱 Principes généraux des soins nutritionnels
- Prévention proactive➡️ Le vieillissement rend la dénutrition plus rapide et plus difficile à corriger.
- Individualisation du soin➡️ Adapter à la tolérance, aux préférences et à l’état fonctionnel.
- Intégration complète dans le soin global➡️ Coordination entre proches, kiné, médecin, diététicien.
🥗 Recommandations nutritionnelles
Élément | Recommandation |
---|---|
Énergie | 30 kcal/kg/j |
Protéines | ≥ 1,0 g/kg/j (jusqu’à 1,5 g en cas de fragilité) |
Vitamine D | 1 000 UI/j si risque de carence |
Apports minimums | Complémentation nécessaire si < 1 500 kcal/j |
➡️ Les compléments nutritionnels oraux ont démontré une amélioration significative des résultats fonctionnels (essai EFFORT, n=2 000 patients, âge moyen 76 ans).
✅ Conclusion
✅ Chez les personnes âgées, la dénutrition est un frein silencieux à la récupération.
✅ Le dépistage est simple, rapide, et à la portée du kiné.
✅ Une action précoce (adaptation du soin, orientation, sensibilisation) améliore l’autonomie, réduit les risques et valorise votre pratique.
🛠 Changement à mettre en place au cabinet
1. Intégrer systématiquement le dépistage
- 📄 Utilisez le MNA-SF dans vos bilans initiaux avec des patients >70 ans.
2. Rechercher les causes selon le DoMAP
- 📋 Identifiez les facteurs directs, intermédiaires et systémiques pour chaque patient.
- Renseigne les comorbidités dans TOHA
3. Adapter le suivi kiné
- ⚖️ Poids stable ? Apport suffisant ? Intégrer exercices de force, de charge progressive (regarder l’IMC dans TOHA).
- 🧠 Rester vigilant à la fatigue, l’état mental, la déshydratation.
4. Collaborer activement
- 📞 Contactez le médecin si risque identifié. Parlez de supplémentation ou d’orientation diététique.
- Et pour ça rien de mieux que les outils TOHA pour communiquer en sécurité !
5. Surveiller l’évolution
- 🕵️♂️ Pesée régulière, revue des traitements, évolution du comportement alimentaire.
❓ Zones d’incertitude
- Manque de consensus historique sur les critères diagnostiques (pré-GLIM).
- Rareté des essais randomisés nutritionnels rigoureux.
- Besoin de personnalisation forte des interventions.
- Faible formation nutritionnelle dans les filières de santé… y compris chez les kinés.
📣 Appel à l’action
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Référence:
Cruz-Jentoft AJ, Volkert D. Malnutrition chez les personnes âgées. N Engl J Med. 2025;392(22):2244–2255. doi:10.1056/NEJMra2412275.
Haute Autorité de Santé, Fédération Française de Nutrition. Diagnostic de la dénutrition chez la personne de 70 ans et plus. Saint-Denis La Plaine: HAS; 2021. Validé par le Collège le 10 novembre 2021.