Rééducation du LCA : nous savons qu’elle est primordiale. Mais sur quoi se baser pour une rééducation optimale ?
🧠 Cas clinique
Lucas, 27 ans, revient vous voir après une reconstruction du LCA.
- Vous avez une ordonnance du chirurgien,
- Un protocole imprimé trouvé en ligne,
- Un autre transmis par un confrère,
- Et plusieurs articles lus récemment.
Résultat : des recommandations différentes, parfois contradictoires.
Difficile de savoir sur quoi s’appuyer pour avancer avec clarté et rigueur.
Et si le vrai problème, c’était le manque de reproductibilité des programmes de rééducation post-ACLR ?
✨ Highlights
- 296 études analysées : aucune ne couvre les 28 domaines clés de la rééducation post-ACLR.
- 78 % des programmes sont construits uniquement sur des délais calendaires, pas sur des critères cliniques objectifs.
- Aucun protocole ne décrit précisément les exercices, charges, fréquence ou progression.
- La composante psychologique du retour au sport est mentionnée dans seulement 3 % des cas.
- Résultat : des programmes flous, inexploitables… et des patients mal suivis.
📊 Introduction
L’articulation du genou, véritable chef‑d’œuvre mécanique, repose sur un équilibre subtil entre stabilité et mobilité. Au cœur de ce dispositif, le ligament croisé antérieur (LCA) agit comme un gardien silencieux, empêchant la translation avant excessive du tibia et assurant la cohérence globale du membre inférieur lors des mouvements complexes. Pourtant, dans le contexte des sports de pivot, de saut ou de changement rapide de direction, la rupture du LCA s’impose comme l’une des lésions orthopédiques les plus redoutées. Selon les données épidémiologiques récentes, le taux de récidive après reconstruction du LCA (ACLR) se situe entre 6 % à 31 % selon les populations et les contextes sportifs. jospt.org+1
La chirurgie de restauration du LCA a fait d’énormes progrès — techniques arthroscopiques, greffes d’ischio‑jambiers ou de tendon rotulien, tunnelisation optimisée —, et pourtant, un défi majeur demeure : la rééducation postopératoire. Si la littérature chirurgicale décrit méticuleusement les tunnels, la fixation et la greffe, les programmes de rééducation sont souvent relégués à des paragraphes vagues. Or, sans un suivi rigoureux, cette lacune n’est pas sans conséquence ; des études suggèrent que la qualité de la rééducation influence directement le succès fonctionnel, la stabilité neuromusculaire, la symétrie de force et, in fine, le retour au sport. journals.sagepub.com+1
Lorsqu’on scrute la littérature, on découvre un paradoxe : de nombreuses revues systématiques confirment que l’ACLR permet l’atteinte de la cicatrisation ligamentaire, mais beaucoup soulignent les déficits persistants : retour au sport incomplet (seulement ~55 % atteignent leur niveau antérieur) et taux élevé de complications à long terme (arthrose, défauts biomécaniques). Nature Ces résultats posent une évidence : la greffe ne suffit pas, c’est la ré‑éducation qui fait la différence.
C’est dans ce contexte que l’article intitulé « Published Rehabilitation Programs for Patients With Anterior Cruciate Ligament Reconstruction Are Poorly Reported and Not Reproducible in Clinical Practice » paru dans JOSPT Open vient jeter une lumière brutale. En examinant 296 études (22 564 patients) sur les protocoles de rééducation après ACLR, les auteurs identifient 28 domaines clés de la prise en charge, mais constatent avec stupeur qu’aucune étude n’en décrit l’ensemble. 43 études (15 %) n’abordent qu’un seul domaine, et dans 78 % des études, la progression est justement fondée sur le temps plutôt que sur des critères objectifs. jospt.org+1 Le message est clair : pour le clinicien, le programme publié est souvent inexplicable en pratique, faute de description fine des exercices, des charges, des critères, des étapes.
Pourquoi est‑ce si problématique ? Parce que la rééducation après ACLR doit traverser plusieurs phases : restauration de l’amplitude de mouvement, contrôle musculaire, renforcement, proprioception, équilibre, retour à la course, retour au saut, retour au sport. Chacune impose des critères de progression, des seuils d’évaluation, des objectifs clairs. Si ces paramètres sont flous ou absents, le clinicien se trouve devant un « protocole boîte noire », où la mise en œuvre devient une interprétation personnelle, et la variabilité clinique s’envole. journals.sagepub.com
Pour toutes ces raisons, ce blog se propose d’explorer :
- les lacunes documentaires de la rééducation post‑ACLR,
- l’impact de cette carence sur la pratique clinique et le retour au sport,
- et surtout, comment transformer cette connaissance en action concrète, afin que vos programmes ne soient plus du « bricolage intuitif » mais du protocolisé reproductible et fondé sur les données.
Ainsi, avant de plonger dans les résultats, les recommandations et les implications pratiques, arrêtons‑nous sur ce constat frappant : la science possède de nombreux essais, mais elle ne livre pas les clés du transfert en clinique. Et c’est peut‑être cette « zone grise » entre recherche et pratique qui freine la rééducation optimale après reconstruction du LCA.
🧪 Méthode
Les auteurs ont analysé 296 études publiées sur la rééducation post-opératoire du LCA, issues de 4 grandes bases de données.
Chaque protocole a été passé au crible via la checklist TIDieR, pour évaluer sa clarté et sa
reproductibilité clinique. Ils ont aussi vérifié si les progressions étaient basées sur le
temps ou sur des critères fonctionnels objectifs.
📊 Résultats – 28 domaines, des milliers de patients… mais un manque criant de structure
L’étude passe au crible 296 publications, représentant plus de 22 000 patients opérés du LCA. En apparence, un trésor d’informations. En réalité ? Un kaléidoscope de protocoles souvent incomplets, rarement comparables, et presque jamais applicables tel quel en clinique.
Malgré une décennie de recherches, aucun programme de rééducation n’intègre les 28 domaines identifiés.

Figure 1. Reproductibilité clinique des domaines des programmes de rééducation postopératoire du LCA
🚦 Phase initiale : Préparation et restrictions – ou le flou artistique
À peine 5 % des études abordent la préhabilitation, alors qu’elle est cruciale pour optimiser le résultat chirurgical. Lorsqu’elle est présente, elle dure en moyenne 34 jours.
Dès l’immédiat post-opératoire, l’incohérence frappe fort :
- Le délai de démarrage de la rééducation varie de 0 à 60 jours. Médiane : 1 jour. Autrement dit, certains patients bougent dès J0, d’autres… attendent deux mois.
- Les restrictions de mise en charge sont rapportées dans 44 % des études, avec un passage à l’appui complet autour de 22 jours, mais sans consensus.
- Les orthèses ? Utilisées dans 32 % des cas, pendant des durées allant de… 0 à 365 jours. Autant dire : libre interprétation.
🔥 Phase aiguë : Gérer la douleur… sans en parler vraiment
- La gestion de la douleur est détaillée dans seulement 35 % des études, avec des durées moyennes de traitement autour de 24 jours.
- L’œdème, souvent négligé, n’est mentionné que dans 18 % des publications.
- La mobilisation passive continue (CPM) est prescrite dans 15 % des cas, souvent dès le premier jour, mais sa pertinence clinique reste débattue.
- Et la thérapie manuelle ? Seules 19 % des études l’intègrent, avec un début très variable.
💪 Rééducation active : tout le monde fait… mais sans dire quoi
Voici le grand paradoxe : la quasi-totalité des études inclut des exercices de renforcement musculaire (50 %) ou de neuromotricité (81 %), mais aucune ne fournit des protocoles suffisamment détaillés pour être fidèlement reproduits.
- Quels exercices ? Mystère.
- À quelle charge, quelle fréquence, quels critères de progression ? Absents.
- L’équilibre statique et dynamique est présent dans un tiers des études, débutant vers 15 à 40 jours, mais les durées et modalités sont rarement cohérentes.
« Renforcement progressif » ou « travail proprioceptif adapté »… Des mots souvent creux sans dosage ni temporalité.
🏃 Phase fonctionnelle : une reprise très floue des activités
- La marche (5 % des études) et la rééducation à la marche (6 %) apparaissent tardivement, vers 8 à 56 jours postop.
- Le vélo, star des plateaux de kinés, est utilisé dans 26 % des études, en moyenne à partir de 23 jours.
- La natation revient plus tard (J+37), et le cardio training n’est abordé que dans 8 % des cas.
Mais encore une fois : les indications sont trop générales pour guider un clinicien.
🏁 Retour au sport : entre approximations et espoirs
C’est là que tout se joue. Et que tout vacille.
- Le jogging est réintroduit vers J+68 (55 études), souvent sans critères objectifs.
- Les sauts vers J+72.
- L’agilité, plus technique, autour de 87 à 183 jours.
- La reprise du sport est évoquée dans 23 % des études. La moitié des cas se base sur des critères flous de temps (6 mois en moyenne), l’autre moitié utilise des marqueurs fonctionnels… souvent non précisés.
Pire encore : la composante psychologique, pourtant clé dans le retour au sport, est abordée dans seulement 3 % des études.

Figure 2. Nombre d’études contribuant à chaque domaine des programmes de rééducation postopératoire du LCA, avec la répartition des études par domaine selon qu’elles proposent des interventions basées sur le temps, des interventions basées sur des critères ou aucune intervention basée sur le temps et/ou des critères.
🧭 En conclusion
La recherche actuelle sur la rééducation post-LCA fourmille de données… mais manque cruellement de direction. Ce qu’il nous faut désormais, ce ne sont pas plus d’études, mais des études mieux faites, mieux rapportées, et vraiment transposables dans nos pratiques quotidiennes.
En attendant, la meilleure rééducation reste celle que l’on construit sur mesure, avec bon sens, rigueur, et critères cliniques solides.
🎓 Parce que le vrai protocole universel… c’est celui qu’on adapte à chaque patient.
🏥 Changement au cabinet : que faire dès lundi matin ?
🧩 1. Basculer du calendaire au critère
➡️ Abandonnez les phrases toutes faites comme « course à 6 semaines » ou « reprise du sport à 6 mois ».
À la place, posez des seuils objectifs : force quadri > 85 %, hop test > 90 %, douleur < 2/10.
📋 2. Formalisez vos phases de rééducation
➡️ Structurez vos programmes autour des 5 grandes étapes :
Restrictions – Phase aiguë – Rééducation active – Phase fonctionnelle – Retour à l’activité.
🔍 3. Documentez vos séances
➡️ Pour chaque exercice : notez le type, le dosage, les consignes, et les critères de progression.
Cela vous rendra plus rigoureux… et plus transmissible entre collègues.
Dans TOHA:

🧠 4. Intégrez les aspects psychologiques
➡️ Mettez en place un questionnaire simple (TSK, ACL-RSI, etc.) ou un entretien systématique sur la peur de se reblesser.
Le retour au sport se joue autant dans la tête que dans la jambe.

🛠 5. Créez vos propres fiches TIDieR pour vos recherches et mémoire
➡️ C’est un excellent outil pour standardiser vos interventions.
Pas besoin de faire compliqué : une fiche Excel bien faite, partagée entre thérapeutes, suffit souvent à harmoniser la pratique du cabinet.
Référence:
Ebert JR, Edwards PK, Spalding T, Litchfield R, Irrgang JJ, Wilk KE, et al. Published rehabilitation programs for patients with anterior cruciate ligament reconstruction are poorly reported and not reproducible in clinical practice: a scoping review. JOSPT Open. 2025 Sep 19;3(4):435–448. doi:10.2519/josptopen.2025.0160.

