Post-rupture du LCA : Vos patients pensent-ils qu’ils doivent se faire opérer pour rejouer ? Et si cette idée reçue influençait toute leur rééducation ?
Cette étude révèle comment les conseils donnés (ou omis) par les professionnels de santé modifient profondément la trajectoire de traitement du LCA.
🏥 Cas clinique qui interpelle
Une patiente de 24 ans arrive en séance après une entorse grave du genou lors d’un match de foot.
Son médecin généraliste l’oriente vers un chirurgien. Résultat ?
👉 « Tu veux rejouer ? Tu dois te faire opérer. »
En 15 minutes de consultation, la décision semble prise. Pourtant, aucun mot sur la rééducation comme option.
Et vous ? Que diriez-vous à cette patiente ? Quelles informations donneriez-vous pour l’aider à faire un choix éclairé ?
🧭 Ce blog vous aide à mieux informer vos patients sur les options validées par la science.
Highlights
- 85 % des chirurgiens australiens présentent la chirurgie comme la seule voie pour rejouer au sport.
- Moins de 30 % des professionnels mentionnent que rééducation seule et chirurgie donnent des résultats comparables.
- Des patients mal informés se retrouvent à regretter leur décision ou à subir des complications évitables.
- La rééducation seule peut suffire dans de nombreux cas, y compris chez les sportifs.
📝 Introduction
Les lésions du ligament croisé antérieur (LCA) du genou sont parmi les blessures musculosquelettiques les plus fréquentes dans la population jeune et active, avec une incidence estimée entre 30 et 78 pour 100 000 personnes par an, touchant majoritairement les sportifs pratiquant des activités avec changements de direction ou sauts répétés comme le football, le ski ou le basketball【Filbay et al., 2025】.
Outre la douleur et l’instabilité initiales, ces ruptures représentent un enjeu majeur de santé publique par leur coût, leur durée de rééducation, les arrêts de travail associés et leur lien avec un risque accru d’arthrose précoce du genou【Smith et al., 2014】. Face à cela, la chirurgie — en particulier la reconstruction du LCA — a longtemps été présentée comme la solution par défaut, notamment pour les patients souhaitant reprendre le sport. Cette vision est encore dominante, tant chez les cliniciens que dans l’imaginaire collectif.
Pourtant, depuis plus d’une décennie, les données de la littérature ont remis en question cette hiérarchie. Deux essais cliniques majeurs, le KANON trial (Frobell et al., 2010) et le COMPARE study (van Yperen et al., 2018), ont montré que la rééducation seule, bien conduite et encadrée, permet à un sous-groupe significatif de patients d’éviter la chirurgie sans compromettre les résultats fonctionnels à court ou moyen terme. Une récente méta-analyse de Monk et al. (2023) confirme que les taux de retour au sport, de stabilité subjective et de satisfaction ne diffèrent pas significativement entre traitement conservateur et reconstruction précoce dans des cohortes comparables.
Malgré ces résultats, la réalité clinique reste éloignée des recommandations : la grande majorité des patients — dans certains pays comme l’Australie — sont orientés rapidement vers la chirurgie, souvent dès la première consultation. Ce biais dans l’information initiale fournie par les professionnels compromet la possibilité d’un choix thérapeutique réellement partagé (shared decision-making), pourtant au cœur des bonnes pratiques en santé musculosquelettique.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’étude de Filbay et al. (2025), qui explore de façon originale le parcours décisionnel de 734 patients ayant subi une rupture du LCA. Loin de se concentrer uniquement sur les résultats fonctionnels ou les taux de succès, cette recherche met en lumière un chaînon manquant souvent ignoré : l’influence des discours des professionnels de santé sur la trajectoire thérapeutique des patients.
Quels messages ont-ils reçus ? Par qui ? Ont-ils eu l’impression d’avoir le choix ? Ont-ils compris qu’il existait des alternatives ?
En analysant à la fois les données quantitatives issues d’un large questionnaire et les récits qualitatifs d’entretiens semi-directifs, cette étude apporte un éclairage essentiel pour comprendre pourquoi, aujourd’hui encore, tant de patients se dirigent vers la chirurgie… sans avoir eu toutes les cartes en main.
🔬 Méthodologie
L’étude repose sur :
- Une enquête nationale en Australie auprès de 734 patients ayant subi une rupture du LCA.
- Une analyse mixte : questionnaires quantitatifs et entretiens qualitatifs approfondis.
- Les chercheurs ont croisé les réponses pour dégager les tendances et perceptions communes sur le parcours de soins.
Les résultats ont ensuite servi à construire un outil d’aide à la décision à destination des patients.
📊 Résultats – Ce que révèle la littérature scientifique
1️⃣ 🩻 Une promotion massive de la chirurgie
- 85 % des chirurgiens, 65 % des généralistes et 61 % des kinésithérapeutes présentent la chirurgie comme la meilleure option.
- Les patients rapportent des phrases comme :
« Si tu veux rejouer, il n’y a pas d’alternative »
« Tu as explosé ton LCA, il faut opérer »
- Ces discours sont tenus même en cas de déchirure partielle à l’IRM.
2️⃣ 🧘♂️ Rééducation seule ? Rarement évoquée
- Moins de 30 % des professionnels expliquent que la rééducation seule peut être aussi efficace que la chirurgie.
- Seuls 2 % des chirurgiens la présentent comme option principale.
- Quand elle est mentionnée, c’est souvent de manière décourageante :
« Vous pouvez essayer la kiné, mais on finit souvent par opérer quand même. »
3️⃣ 😰 Des décisions prises sous pression
- 17 % des patients ressentent une pression directe pour se faire opérer.
- Cette pression vient :
- 🧑⚕️ 60 % des chirurgiens
- 👨👩👧 Proches, coachs, coéquipiers
4️⃣ ⚖️ Un accès biaisé à l’information
- 64 % des patients n’ont pas été informés de l’existence d’une alternative conservatrice.
- Les consultations chirurgicales sont perçues comme :
- ⏱️ Trop courtes
- 🧭 Orientées
- ❌ Manquant d’explications neutres
- On parle surtout :
- ✅ des bénéfices de la chirurgie
- 🛑 peu voire pas des risques post-opératoires
- 🚫 et très peu des bénéfices de la rééducation
- En parallèle, les risques de la rééducation sont exagérés :
- 💢 instabilité
- ⛔ échec fonctionnel
5️⃣ 🧑🔬 Le rôle ambivalent des kinés
- ✅ Certains kinés informent de manière équilibrée et présentent les deux options avec clarté.
- ❌ D’autres renforcent les croyances chirurgicales :
« Pour rejouer, tu dois te faire opérer. »
6️⃣ 🪞 Une illusion de choix thérapeutique
- Beaucoup de patients ont le sentiment que la décision était déjà prise pour eux, dès la première consultation.
- 💬 Le langage médical, les images (IRM) et l’absence d’alternatives claires orientent le choix sans que cela soit explicite.
- 🤷♂️ Le concept de « décision partagée » est souvent absent ou mal compris.
7️⃣ 🧠 L’impact des croyances personnelles et sociales
- 🧩 Croyance fréquente :
« Un ligament rompu, ça se répare »
- Cette idée simpliste est rarement discutée ou remise en question.
- 🏟️ L’influence du sport, de l’entourage, et de la culture dominante favorise souvent la chirurgie par réflexe, pas par choix éclairé.
8️⃣ 😔 Des regrets a posteriori
- Certains opérés regrettent leur décision après avoir appris qu’une prise en charge non chirurgicale aurait pu fonctionner.
- À l’inverse, certains non opérés auraient préféré une chirurgie plus précoce.
- Dans les deux cas, le regret vient d’un manque d’information claire et personnalisée au moment clé de la décision.
✅ Conclusion
Cette étude révèle un constat troublant : dans le parcours post-rupture du LCA, ce ne sont pas les données scientifiques qui guident la décision… mais les premiers mots du professionnel consulté.
👉 Une majorité de patients entament un parcours chirurgical sans avoir eu accès à une information équilibrée, claire et fondée sur les preuves.
👉 Et pourtant, la littérature est formelle : la rééducation seule est une option crédible, y compris pour des profils sportifs, à condition qu’elle soit bien conduite et expliquée.
👉 Ce déséquilibre d’information ne relève pas uniquement du chirurgien : les kinés ont un rôle clé à jouer pour ouvrir le champ des possibles, corriger les croyances erronées, et accompagner une décision vraiment partagée.
💡 La qualité de l’information initiale conditionne le traitement choisi… et donc, les résultats à long terme. En tant que professionnel de première ligne, vous êtes la voix qui peut tout changer.
🏃♂️ Les changements à mettre en place au cabinet
1. 🔍 Évaluer les croyances dès la 1ère séance
« Est-ce qu’on vous a expliqué les différentes options de traitement ? »
« Avez-vous l’impression qu’une décision a déjà été prise pour vous ? »
✅ Utilisez un questionnaire rapide ou une fiche d’entretien pour cibler les idées reçues.
2. 🧠 Présenter les deux options avec neutralité
- « Il existe deux stratégies validées par la science : chirurgie ou rééducation seule. Les deux peuvent fonctionner selon votre profil. »
- « La rééducation seule permet parfois d’éviter la chirurgie, même chez des sportifs. »
📱 Utilisez un support pour identifier les leviers et les freins pour la réalisation des objectifs :
3. 📊 Documenter la progression avec des critères objectifs
- Force quadriceps (dynamomètre si dispo)
- Instabilité perçue
- Fonction globale (avec les questionnaires dans TOHA)
4. 🧾 Donner une trace écrite ou numérique au patient
- Réalisez-vous même votre propre « note sécurisé » et votre modèle à envoyer aux patients.
5. 💬 Suggérer une seconde opinion en cas d’avis chirurgical tranché
« Il est légitime de vouloir un deuxième regard avant de prendre une décision irréversible. »
⚖️ Encouragez une démarche de co-décision, pas de soumission.
🤝 Partagez dans la communauté TOHA ce que vous avez mis en place.
📚 Références
Filbay, S. R., Black, D., Blanch, P., Roe, J., & Ardern, C. (2025).
“The only way you’re ever going to play sport again is if you go through surgery”: A mixed-methods study of treatment decision-making for anterior cruciate ligament rupture in Australia.
Sports Medicine, Published online ahead of print.
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/40603829/

